Aujourd’hui j’ai 25 ans. Un quart de siècle comme on dit. Un âge particulier pour moi, le moment où je ne suis plus une enfant, où je me lance enfin dans ma vie d’adulte. Enfin. Mais c’est avant tout une nouvelle étape psychologique, celle où il est temps d’aimer son corps et de le choyer, au lieu de le maltraiter. J’ai toujours été costaud, ronde, un « grand gabarit » qui fait plus « envie que pitié ». L’adolescence est une période complexe, qui laisses parfois des traces. Il faut alors plusieurs années pour prendre conscience que notre corps ne mérite pas d’être affamé, épuisé, pour correspondre à des standards impossibles.
Il est temps d’aimer ce navire qui me porte à travers cet océan qu’est la vie. J’ai commencé à faire du sport pour de mauvaises raisons. Pour maigrir et non pour me sentir bien. Par chance, j’ai croisé la route de personnes formidables qui m’aident petit à petit à ouvrir les yeux.
Et un jour j’ai rencontré Tahiti et la danse. Il faut avouer que c’est une chance extraordinaire de pouvoir vivre à l’étranger, car oui, la Polynésie ce n’est pas la France. C’est une Terre, une Patrie, une Culture, des Valeurs, un coeur, qui chante et qui danse. Aux côtés des polynésiens de souche et de coeur j’ai découvert le dépassement de soi, la bienveillance, l’entraide, la tolérance, la mixité sociale aussi. Cette manière qu’ont des individus de tout âge, tout horizon, de former un groupe.
La première danseuse qui a changé mon regard de petite fille sur les femmes est la célèbre Makau Foster. Une personnalité incroyable et captivante. La danse a longtemps été interdite par les européens car considérée comme impudique, et ce, jusque dans les années 50. En 1978, elle créé Tamariki Poerani, l’un des groupes de danse les plus prestigieux de Polynésie qu’elle emmènera parcourir le monde. Viendra par la suite la création de son école de danse, où nous avons appris à danser ma mère et moi.
Makau, ma mère, mon frère et moi.
Imaginez notre fierté quand maman dansait en première ligne au Heiva Tahiti après même pas deux ans de pratique! Elle et sa peau claire, au milieu de toutes ces polynésiennes qui nous avaient ouvert les bras. Parce que nous étions venus chez eux, humbles, curieux, et non en conquérants ni en touristes mal élevés.
J’étais petite mais comme beaucoup, déjà conditionnée par la société, la publicité et les jouets pour petite fille. Tout à coup je me retrouve à l’autre bout du monde, devant ces femmes toutes plus magnifiques les unes que les autres. Elles sont magnifiques parce qu’elles dansent avec leur coeur et cela n’a rien à voir avec leur physique. Elles rayonnent. Elles s’assument. C’est donc ça le secret de la beauté?
18 ans après cette rencontre et notre retour en France, je déménage à Toulon. C’est à mon tour de renouer avec la Polynésie. Un coup de téléphone et me voilà inscrite dans une école de danse. La danse est devenu mon exutoire, un espace d’expression où on assume son corps et on le montre. Croyez-moi, il m’a fallu du temps pour montrer mon ventre malgré les compliments des copines qui ne comprennent pas toujours ma gêne… Cela fait maintenant un an que je danse à nouveau et dans deux troupes différents, Hei Show Tamure et Reva i Tahiti.
Une fois n’est pas coutume, j’aimerais laisser la parole à une rencontre récente, Mareva Bouchaux, ma professeure de danse. Elle fait partie de ces femmes qui vous ouvrent les yeux.
Je danse donc je suis
La danse tahitienne se répand en métropole. On s’y inscrit pour remplir son besoin de voyager, de changer d’air après le travail, pour faire son sport ou encore renouer avec nos souvenirs de vacances… mais on y reste pour des raisons bien plus profondes, plus ancrées, plus vraies.
La danse est universelle, il s’agit de s’exprimer en mouvement. Ajoutez-y une culture qui a su conserver des valeurs authentiques et enracinées, vous obtiendrez un nouveau souffle, deux heures par semaines qui deviennent tout à coup thérapie. Je danse. Je m’applique à comprendre les mouvements et à les reproduire.
C’est difficile, mais quel bonheur quand je parviens à coordonner l’ensemble de mon corps pour me sentir évoluer à l’unisson. Moi, mon corps, la musique et l’histoire que je raconte. Mon mental essaie de penser à tout : les hanches, les déplacements, les gestes, leur signification, être gracieuse, sourire, respirer… Une larme. D’habitude j’arrive à cacher mes émotions mais ici, quelque chose me fait lâcher prise.
Quand je viens en cours, je découvre une culture, mais en m’accordant enfin du temps, la première personne que je rencontre c’est moi. Moi dans un miroir, sur une photo, sur une vidéo. J’apprends à me regarder dans les yeux, et sur les compliments de mes nouvelles copines, j’accepte doucement que je suis belle. Qui que je sois. Avec le temps, j’améliore mon estime de moi-même, mon oeil devient constructif et positif, je retrouve confiance en moi. Je me comprends mieux aussi. Mon corps laisse entrevoir dans le physique certaines choses que je ne sais pas gérer dans le mental, l’émotionnel ou l’énergétique. Je me mets en mouvement et ces blocages apparaissent ! J’en prends alors conscience, j’arrive peu à peu à les accepter, les gommer, les faire évoluer en aptitudes qui dévoilent mon plein potentiel. Parfois je finis même par m’aimer ! Quand je viens à la danse tahitienne, je me reconnecte à des valeurs saines et profondes.
Je réapprends la tolérance, envers les autres et aussi envers moi-même. Je teste ma patience avec la confection des costumes traditionnels tressés, cousus ou noués, quelle fierté de les porter enfin ! Et puis je respecte une culture, je chante en tahitien, j’apprends des expressions de là-bas et m’intéresse aux savoirs-faire et aux habitudes locales. Je danse et je suis.
Mais je ne suis pas le groupe. J’apprends seulement à en faire partie car il me relie directement aux notions de peuple et de société. Nous réapprenons ensemble certaines valeurs fondamentales. Grâce à notre bienveillance, mes amies et moi créons un espace de sécurité dans lequel petit à petit, chacune se sent libre de s’affirmer et de prendre sa place. Nous faisons attention les unes aux autres, nous vérifions que le costume de la voisine est bien mis.
On se serre aussi dans les bras quand ça ne va pas et on se propose une oreille attentive si besoin. On prend son courage à deux mains pour se dire avec douceur les choses qui nous gênent et ainsi s’entraider pour grandir. Puis on pense à se complimenter. Chacune aura alors mis de son énergie pour propulser le groupe vers le haut, vers ce qu’il y a de meilleur pour nous toutes.
Nous dansons, nous rayonnons, nous sommes. Avec la compagnie, j’ose être moi-même. Je suis fière de nous, et je commence à me sentir fière de moi. J’enseigne la danse tahitienne depuis 2011 avec ces sous-objectifs en tête lorsque je transmets mes connaissances techniques. Ce texte est dédié à toutes les élèves qui m’ont fait confiance et que j’ai vues grandir et s’épanouir grâce à la danse, grâce au groupe et surtout grâce à leurs efforts personnels pour se surpasser. Je vous admire.
Avec beaucoup d’amour, Mareva
J’espère qu’à travers ces mots vous comprendrez un peu mieux ce qui peut nous relier à la Polynésie, ce qui nous élève et nous rend chaque jour plus sûr de nous. Merci beaucoup à Mareva d’avoir accepté d’ouvrir son coeur et d’offrir ses mots. Je dédie ce billet à la petite fille que j’ai été pour lui dire qu’un jour tout ira bien, que les doutes ne durent jamais et que l’Avenir l’attend. Ayez confiance en vous, aimez vous et vous rayonnerez, soyez en certain.